Condensé #29 - Semaine du 1er Juillet 2022
Liberté d’expression pour les NFT = licence de contrefaire?
En une ligne dans le reste du monde.
Par Malik Aouadi
Liberté d’expression pour les NFT = licence de contrefaire?
Il y a de cela quelques mois, la célèbre maison Hermès, à l'origine de l'emblématique ligne de sac à main Birkin, avait porté plainte contre une collection de NFT intitulé Metabirkins, qu’elle considérait comme une violation de sa marque.
Le contexte
Cette collection, déclinée à 100 exemplaires sur OpenSea, est l’oeuvre de l’artiste Mason Rothschild dont l’initiative voulait réinterroger la forme, la matérialité et le nom d'un élément culturel connu. Le problème ? Aucune relation ne liait l’artiste américain à Hermès, et aucune autorisation n’a encore moins été accordée à ce dernier.
Alors que nous ne sommes toujours qu’au stade des échanges écrits, deux considérations légales importantes viennent de se voir éclaircies par un tribunal new-yorkais.
Une définition rendue par le tribunal
S’inspirant grandement de la description détaillée d’un NFT par Hermès dans sa plainte, le tribunal les décrit comme étant « des unités de données stockées sur une blockchain qui sont créées pour transférer la propriété soit de choses physiques, soit de supports numériques ».
La juridiction précise que dans ce dernier cas, « le NFT et le smart contract qui lui est associé sont stockés sur la blockchain et sont liés à des fichiers de support numérique (par exemple, des images JPEG, des fichiers vidéo .mp4 ou des fichiers musicaux .mp3) pour créer un fichier de support numérique identifiable de manière unique ».
Enfin, le tribunal précise que les fichiers numériques vers lesquels les NFT renvoient sont stockés et existent séparément des NFT eux-mêmes. Il rappelle que les NFT sont alors simplement des lignes de codes indiquant l'emplacement d'un média numérique, qui en permettent l'authentification ainsi que la revente et les transferts ultérieurs. Cette définition n'est pas anodine. Ce faisant, la juridiction écarte la catégorisation des NFT en simple marchandise, ce qui les aurait exclus considérablement de toute la protection du Premier Amendement de la Constitution américaine - la liberté d'expression.
La liberté d'expression à la rescousse des MetaBirkin?
Dès le début de la bataille judiciaire entre les deux protagonistes, Mason Rothschild n'a cessé de clamer son droit à la liberté d'expression qui, selon lui, lui permettrait de créer et vendre des œuvres d'art représentant des sacs Birkin, au même titre que cette liberté avait permis à Andy Warhol de créer et vendre des œuvres d'art représentant des boîtes de soupe Campbell.
Dans cette logique, Rothschild avait introduit une demande de rejet de la recevabilité de la plainte d'Hermes, car étant des œuvres artistiques distinctes des créations de la marque de luxe, les Metabirkin ne créaient pas de risque de confusion avec les œuvres originelles.
Bien que le tribunal ait reconnu le caractère artistique des NFT de l'artiste américain, il a décidé de rejeter cette demande. Pour motiver cette décision, le juge s'est basé sur un monument de jurisprudence américaine en droit des marques - Rogers c. Grimaldi.
Le Roger Test
Dans l'affaire Rogers, la plainte a été déposée par l'actrice Ginger Rogers qui s'opposait à la diffusion du film Ginger and Fred en considérant que l'œuvre faisait référence au duo qu'elle formait avec Fred Astaire sans autorisation. L'histoire fictive du film mettait en scène deux personnages qui imitaient le duo iconique de danseurs et étaient connus sous le nom de "Ginger et Fred".
La plainte de l'actrice évoquait la violation de la loi fédérale sur les marques, le Lanham Act, au motif que titre créait la fausse impression qu'elle était associée d'une quelconque manière avec le film.
La Cour d'appel avait alors considéré que « dans la mesure où il existe un risque que le titre induise en erreur certains consommateurs quant au sujet de l'œuvre, ce risque est contrebalancé par le danger que la suppression d'un titre artistiquement pertinent mais ambigu restreigne indûment la liberté d'expression ».
De son jugement est alors tiré le fameux test Roger en deux étapes:
L'utilisation de la marque a-t-elle un rapport artistique avec l'œuvre sous-jacente du défendeur ?
Si c'est le cas, l’usage de la marque est autorisé, sauf si l'œuvre induit explicitement en erreur quant à la source ou au contenu de l'œuvre.
La décision
Malgré que le tribunal new-yorkais ait reconnu l'aspect artistique des sacs à main virtuels (première étape du Roger Test), ce dernier a estimé que la maison de luxe française avait présenté suffisamment d'éléments permettant d'affirmer que l'artiste contemporain avait usé du terme "Birkin" d'une manière trompeuse quant à la source ou l'affiliation de l'œuvre (deuxième étape du Roger Test).
Par conséquent, le juge rejette la demande d'irrecevabilité de Mason Rothschild - le jugement aura bien lieu, l'occasion idéale de creuser davantage toutes les questions juridiques liées à la mise sur le marché de NFT. Du moins c'est que semble présager l'ouverture intéressante du tribunal sur le sort qui aurait été réservé aux MetaBirkin s'ils étaient des NFT capables d'être portés dans les métavers; auquel cas ces NFT auraient été considérés comme des marchandises. Coup de pouce au juge responsable d'un litige similaire entre StockX et Nike?
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