Google v Oracle, ALibaba puni à domicile

  1. «Copyright case of the decade» - Google v. Oracle.

  2. Concurrence: amende record en Chine pour Alibaba.


«Copyright case of the decade» - Google v. Oracle.

Historique d’un bras de fer de 11 ans

L’affaire Google v. Oracle America, dont le jugement a été rendu ce 5 avril par la Cour Supreme, concernait l’utilisation par Google de certains composants du langage de programmation JAVA dans son système d’exploitation Android. Oracle, propriétaire de JAVA depuis son achat de Sun Microsystems en 2010, avait estimé que l’utilisation d’extraits de JAVA sans son autorisation constituait une violation de son droit d’auteur. Ce faisant, Google rendait compatible son système d’exploitation Android avec le logiciel JAVA, très largement utilisé par les développeurs et facilitait à ces derniers d’adapter leurs programmes à l’utilisation sur appareils Google.

Depuis le premier procès entre ces deux géants en avril 2012, de nombreux juges ont rendu des décisions divergentes. La semaine dernière, la Cour Supreme des États-Unis a rendu l’ultime décision possible. La première question à laquelle la Cour devait répondre était de déterminer s'il était possible de protéger les API (interface de programmation d’applications - le segment d’instruction permettant d’assurer la multicompatibilité des programmes) par le droit d’auteur (copyright). En cas de réponse affirmative, elle devait préciser si l’utilisation qui en avait été faite par Google tombe sous le coup du «fair use» ou «usage légitime».

La majorité des juges n’ont répondu par l’affirmative qu’à la deuxième question.  Selon la Cour, l’acte de Google  était couvert par la protection offerte par le «Fair Use» lorsqu’il a utilisé plus de 11 000 lignes de code Oracle en vue de rendre son système d’exploitation Android compatible avec le logiciel JAVA. L’exception du «fair use» américain est censée définir les conditions dans lesquelles un créateur est libre d’emprunter la création d’un autre, sans autorisation préalable ou paiement.

Il s’agit de garantir que la même loi sur le droit d’auteur qui protège un artiste n’entrave pas pour autant «la capacité des auteurs, des artistes et du reste d'entre nous à s'exprimer en faisant référence aux œuvres des autres». Selon la Cour, «Google a copié uniquement ce qui était nécessaire pour permettre aux programmeurs de travailler dans un environnement informatique différent sans renoncer à une partie d'un langage de programmation familier.»

L’enjeu derrière le litige

Depuis le début de la bataille entre ces deux mastodontes de la Tech, Google n’a cessé de rappeler qu’il était d’usage dans le milieu de copier l’API. De son côté, Oracle s’estimait lésé et demandait à Google plus de 9 milliards de dollars de dédommagement. Évidemment, chaque partie s’est érigée comme défenseur de l’industrie de la Tech.

Pour de nombreuses sociétés, la crainte d’un jugement en faveur d’Oracle laissait présager un risque d’abus des entreprises détentrices d’API. En entraînant une hausse exorbitante du prix de l’utilisation de ces derniers, de nombreuses entreprises n’auraient pu suivre la cadence financière et l’industrie de l’innovation en elle-même en serait ressortie perdante. Il semblerait que la Cour Supreme ait bien saisi ce risque: «[accorder à Oracle la protection offerte par le copyright] risquerait de porter préjudice au public. […] Le résultat pourrait bien s’avérer très rentable pour Oracle […] mais le verrouillage de tels codes interférerait avec les objectifs fondamentaux de créativité du droit d'auteur, au lieu de les favoriser.»

Kent Walker, chef des affaires juridiques de Google, a salué la décision: «La décision sans équivoque de la Cour suprême est une victoire pour les consommateurs, l'interopérabilité et l'informatique. Cette décision donne une sécurité juridique à la prochaine génération de développeurs dont les nouveaux produits et services profiteront aux consommateurs». Du côté des perdants, Oracle regrette amèrement cette prise de position: «Ils [Google] ont volé Java et ont passé une décennie à intenter des procès comme seul un monopoliste peut le faire. Ce comportement est exactement la raison pour laquelle les autorités réglementaires du monde entier et des États-Unis examinent les pratiques commerciales de Google». 

Sur le sujet: «Google won. So did Tech» par le New York Times et «The Upshot of Google v. Oracle: An Absurd Ruling Will Lead to Absurd Results» pour un avis divergeant.


Concurrence: amende record en Chine pour Alibaba

Une volonté de sévir

Depuis l’année dernière, il semblerait que la Chine ait changé de position face à ses géants nationaux. En proposant de mettre à jour la loi anti-monopole nationale, le régulateur du marché souhaite contrôler l’expansion des grandes plateformes internet comme Alibaba. En novembre dernier, les autorités avaient interrompu les projets d’introduction en bourse de la société Ant Group, spécialisée dans la finance et avaient renforcé leurs surveillances de la finance en ligne. Un mois plus tard, l’enquête anti-monopole visant Alibaba débutait.

Une amende record

C’est la conclusion de cette enquête qui a mené les autorités à infliger une amende de 2,8 milliards de dollars à Alibaba pour abus de position dominante - soit 4% de ses revenus en 2019. Selon les autorités régulatrices du marché, Alibaba force les commerçants à vendre exclusivement sur ses plateformes en ligne Tmall et Taobao depuis 2015.

Elles rajoutent qu’Alibaba aurait profité de sa «position sur le marché, les règles et les données de la plateforme, ainsi que des méthodes algorithmiques» pour mettre en place des récompenses et des punitions pour sa politique du “choisir un des deux”. Alibaba a déclaré «accepter sincèrement» la sanction: «Il s'agit d'une action importante pour préserver la concurrence loyale sur le marché et le développement de la qualité des économies des plateformes Internet». Bien que ce montant constitue un record pour les autorités de réglementation nationale, il reste bien inférieur à la pénalité maximale de 10%prévue par la réglementation en vigueur.

Quelle suite en chine?

Avec plus de 48 milliards de dollars de liquidités dans son bilan de fin d’année 2020 et un bénéfice net de 24 milliards de dollars, cette amende ne devrait pas affecter de manière signification les opérations d’Alibaba. Néanmoins, cette décision marque une nouvelle période de renforcement de la surveillance des transactions et des pratiques anticoncurrentielles dans une industrie auparavant peu réglementée. Alibaba pourrait être le premier géant à illustrer ce tournant. Depuis de nombreuses années, Alibaba et son rival Tencent, leader du marché des jeux et médias sociaux, se livrent à une concurrence sans répit, notamment en dissuadant leurs propres utilisateurs de passer du temps sur les services de l'autre entreprise.

Or, pour la première fois, Alibaba a récemment sollicité la présence de deux de ses plateformes commerciales, Taobao Deals et Xianyu sur WeChat, la célèbre application de message gérée par Tencent. Bien qu’aucun géant ne souhaite perdre de sa mainmise sur le marché, il semblerait que la volonté chinoise de renforcer la surveillance des pratiques de ces titans puisse favoriser la collaboration entre ces entreprises.

Sur le sujet: «Après Alibaba, Pékin lance un avertissement aux autres Gafam chinois» par France 24.