Dolce & gabbana poursuit le compte @Diet_Prada pour diffamation

LE COMPTE DIET_PRADA

Avec près de 3 millions de followers sur Instagram, Diet_Prada fait partie des comptes les plus suivis du monde de la mode. Depuis 2014, Tony Liu et Lindsey Schuyler dénoncent les ressemblances entre modèles proposés par les différentes maisons sans hésiter à exposer le manque de créativité de certaines d’entre elles. Au fil des années et des défilés, le compte Instagram s’est érigé comme défenseurs des copiés face aux grands copieurs.
 
Toutefois, s’établir comme l’une des voix les plus influentes du milieu n’est pas sans risque. Le mois passé, Diet_Prada a révélé avoir fait l’objet d’une action en diffamation intentée par la maison de couture milanaise Dolce&Gabbana diffamation devant un tribunal italien afin d'obtenir plus de 600 millions de dollars de dommages et intérêts.

Le désastre de la campagne #DGLovesChina

En novembre 2018, la campagne publicitaire #DGLovesChina tourne au scandaleaprès que de nombreuses critiques (notamment Diet_Prada) aient accusé la maison italienne de racisme. Le spot publicitaire en question mettait en scène une femme d’apparence asiatique à table, essayant désespérément de manger de la nourriture italienne avec des baguettes. Retirée au bout de 24h par le site chinois Weibo, la vidéo est restée disponible sur le compte de Diet_Prada, ce qui visiblement n’a pas plu à Stefano Gabbana. En répercussion, la marque avait dû annuler un défilé à l’Expo Centre de Shanghai et avait vu de nombreux acheteurs de la collection revenir sur leurs décisions.

«Toute cette affaire est une tentative de faire taire Diet Prada, et de faire taire Tony (Liu) et Lindsay (Schuyler) personnellement», a déclaré Susan Scafidi, directrice du Fashion Law Institute de la Fordham Law School, qui assure la défense des blogueurs.

La plainte vise à obtenir près d’un demi-milliard d’euros de dédommagement pour diffamation. Le montant comprend notamment 3 millions dommages et intérêts pour Dolce & Gabbana, 1 million d'euros pour Stefano Gabbana personnellement et plus de 90 millions en compensation du manque à gagner des ventes sur le marché asiatique de novembre 2018 à mars 2019.

L'interprétation italienne de la diffamation

Curieusement, une partie conséquente des 47 pages envoyées en réponse par les représentants de Liu et Schuyler est consacrée à l’énumération des cas controversés dans lesquels baignent les créateurs italiens depuis une petite dizaine d’années - de leur procès pour évasion fiscale à une publicité mettant en scène un viol collectif en passant par la déclaration de M. Dolce selon lequel les bébés nés par fécondation in vitro seraient «synthétiques». La raison de cette stratégie trouve son sens dans la loi italienne. Selon cette dernière, la diffamation est définie comme étant «l’acte de porter atteinte à la réputation d’une personne [par le biais] d’une communication à une pluralité de personnes». Jusqu’ici, pas de différence fondamentale avec la plupart des lois que nous connaissons à travers le monde. Janna Brancolini, avocate et journaliste milanaise, rappelle cependant que les tribunaux italiens ne se contentent pas de «juger de la véracité des accusations», mais prennent également compte de «l’utilité sociale» et la «retenue» de ces affirmations. En démontrant que la culture de la communication de la mode a toujours été caractérisée par l’excès et la provocation, comme le font les fondateurs de la Maison, la réponse de Diet Prada espère convaincre que son utilisation d’Instagram n’en est pas si différente ni hors-norme en termes d’utilité sociale ou de preuve de retenue.

Plusieurs problèmes de procédure

Une autre considération disputée par les deux parties reste (évidemment) de déterminer la légitimité des tribunaux italiens. Une partie est italienne, l’autre américaine mais il semblerait que le dommage causé peut majoritairement être localisé en Asie. Selon les avocats de la partie défenderesse, le tribunal de Milan doit déclarer son incompétence et rediriger le litige en faveur d’un forum new-yorkais, ou à titre subsidiaire d’un forum de Shanghai ou Hong-Kong. Ce n’est pas le seul argument de procédure relevé par la défense. Selon ces derniers, Dolce & Gabbana S.R.L, Dolce & Gabbana Trademearks S.R.L et Stefano Gabbano n’ont pas la qualité pour poursuivre les fondateurs du compte instagram personnellement. Bien qu’ils soient les auteurs exclusifs du compte, les posts qui y sont publiés et la responsabilité qui en découle sont attribuables à leur société THEDIETSODA LLC, qui n’est pas nommée au litige. 

Liu et Schuyler ont tous deux déclaré qu'ils ne permettraient pas que leur plateforme, qui s'est également exprimée sur le mouvement #MeToo, Black Lives Matter et les récentes attaques contre les Asiatiques aux États-Unis, soit réduite au silence par des poursuites judiciaires. «Diet Prada continuera à être une plateforme qui servira à soulever ces questions cruciales», a déclaré Liu.

Entre temps, Diet Prada a créé une page GoFundMe avec un objectif de 26 000 dollars pour payer les frais de justice. Au moment d'envoyer ce mail, la cagnotte en a levé le double.

Sur le sujet: "Droit du luxe : L'influence du compte instagram @Diet_prada dans contentieux de la contrefaçonpar Julie Curto.